Le petit billet du dimanche d'Adrien Cornaggia
Doctes babillards !
Aujourd'hui, chers vous, je vous cause des
tenants de l'apophtegme retors…
"(…)qu'on m'aille quérir des médecins, et en
quantité, on n'en peut trop avoir dans une pareille aventure"
(Sganarelle, in L'Amour médecin, acte
I, sc.6)
Le propre de l'homme moderne, je me permets de le dire sans complaisance, demeure, entre autres propr(i)etés, sa propension à vouloir soigner par l'autre ses maux particuliers et ses vapeurs générales ; par la gélule, par le verbe et par un repos, revu à la moderne, chichement dispensé, il trouve en la maladie la tacite et, aux yeux de nos "patres capitales" , improductive inclination au ménagement.
Médecins de la
conscience urbaine et autres docteurs d'espérances pullulent en lettres grasses
dans l'épaisse pagination de nos fascicules d'interdépendances. Il semble que
chaque affect ait sa pensée et son remède. À ce point qu'itou les programmes
télévisés ne veulent tout autant démordre d'une idoine mission, de cure par la
larme et la cognition.
Ainsi apprend-on la
culpabilité et le remords, en même temps que, sûrement, le dégoût de soi quand,
en une soirée de liesse pateline sur une quelconque chaîne publique où de
gominés bonhommes et de niaises sylphide au teint de pêche, au ton de
misérabiliste, engagent la masse à payer le remède, l'on se tait.
Ainsi apprend-on à
plaindre à horaire fixe, à pleurer comme il se doit les souffrances béatement
exposées du jeune Walter, ou les clémences partagées pour une alcoolique
éponyme.
À l'heure où le temps de travail grossit non de son nombre de petites mains contraintes mais de ses propres velléités capitales, le remède paraît être le bas acidulé des caques carentes, foules menées par la permanence du salutaire congé…
Il ne m'est de joie saine que la vue d'un
corps travaillant, dirait un autre que je désaffectionne.
Là va l'accent
tonique de l'hypocrisie, là va la veille paternaliste du patron.
"Il vaut mieux mourir selon les règles, que
de réchapper contre les règles." (Bahys, in L'Amour médecin, acte II, sc.5)
Tout art de la
larme a ses doctes babillards. De Molière à nous, la forme a changé, non la
règle ci-dessus convoquée. Qu'ils soient médecins de la chair ou accoucheurs de
l'esprit et du monde, ces hommes, versés en leur pratique première, n'ont eu de
cesse de jouir plus et plus d'une thuriféraire considération.
Molière les cerne
avec une incisive raillerie, avec le goût aigre-doux d'une semblante jovialité.
"Profitons de leur sottise le plus doucement
que nous pourrons", fait-il dire au sentencieux Filerin, dans L'Amour médecin (acte III, sc.1). Jetons
seulement notre œil bis sur la facture hellénisante des dénominations de
médecins, en cette même pièce : Des Fonandrès, qui manie sa langue comme la
dague d'un "apache" titi, est l'homme "qui tue les hommes" ; Bahys, qui siffle à la manière d'une
puante vouivre, ne fait qu' "aboyer"
sa prescription ; Tomès, calculateur nerveux de la distance et du trait, est
"le saigneur" ; Macroton,
de la fâçon de nos hommes du mi-cycle, parle "lentement". Chacun agit et pérore selon une redondance
idiosyncrasique, usant à plus soif d'apophtegmes retors. La règle dûment
convoquée vaut toujours le remède énoncé.
"Je vous prêterai le collet en tout genre d'érudition" (Des Fonandrès, ibid., acte II, sc.4)
Le médecin autant que le philosophe, autant
que l'homme de connaissances contemporain, satisfait du nombre de ses savantes
lectures, comme du plein emploi de sa dite science transfuse, pratiquent en
effet chacun ce que je nomme ici l'entrain joufflu de la référence, l'exercice
de l'éveil intellectuel par une pragmatique scission entre ce qui doit être
transmis et ce qui ne le doit pas être. Nécessité grégaire fait loi en ces
milieux tutélaires.
"Au diable les
savants qui ne veulent point écouter les gens. On me l'avait bien dit, que son
maître Aristote n'était rien qu'un bavard."
Adrien Cornaggia,
le 28 mars 2010